Digital et humain : incompatibles ou indissociables ?
Parmi les grandes questions soulevées par la digitalisation à marche forcée de l’entreprise, un sujet se distingue par sa récurrence : le « tout digital » vers lequel tendent les organisations en quête de performance risque-t-il de déshumaniser l’entreprise ? Le H de la fonction RH, autrement dit l’Humain, a-t-il plus à perdre ou à gagner à la digitalisation ? Avec pragmatisme et sans parti-pris, examinons les principaux apports et risques de celle-ci pour la qualité de l’expérience RH et, plus largement, la qualité de vie au travail des collaborateurs.
La digitalisation pour le meilleur…
Le télétravail, que de nombreux salariés ont expérimenté pour la première fois durant le confinement, est devenu un symbole des grandes possibilités offertes par la digitalisation.
Cette modalité d’organisation ne doit pas faire oublier les apports du digital dans le quotidien professionnel de l’ensemble des collaborateurs, qu’ils travaillent ou non sur sites distants :
Un accès plus rapide et plus large à l’information
Un SIRH performant permet, via le self-service, d’accéder de partout et à tout moment aux informations utiles pour le collaborateur : situation dans l’entreprise, demandes en cours de traitement... Le digital apporte par ailleurs une plus grande visibilité sur l’ensemble des projets des filiales : il devient plus aisé pour le collaborateur d’identifier les projets qui l’intéressent et correspondent à ses compétences, ce qui ne peut que favoriser une mobilité choisie.
Une amélioration de la communication
Bien organisée et bien réfléchie, la digitalisation permet d’enrichir la communication RH vers les collaborateurs, de la rendre plus fluide et de mieux la cibler.
Un accroissement de l’efficacité et de la coopération
La digitalisation permet de réunir rapidement des compétences dispersées à travers l’entreprise pour exploiter au mieux toutes les connaissances disponibles, et cela en évitant les déplacements coûteux et chronophages.
Les outils de travail collaboratifs s’avèrent également de puissants leviers. Un réseau social d’entreprise, par exemple, contribue à effacer les frontières entre les services : les équipes communiquent mieux de l’une à l’autre, sont plus réactives, se coordonnent mieux et peuvent s’inspirer mutuellement.
Une contribution à la préservation de l’environnement
La digitalisation rend le partage de l’information plus facile et plus fluide tout en évitant l’abondance d’emails et de pièces jointes (plus les pièces jointes sont lourdes et les destinataires nombreux, plus l’émission de carbone est importante). Elle permet aussi de limiter les déplacements, notamment ceux en voiture.
Un gain en sérénité et en qualité de vie
La réduction du temps passé dans les transports réduit le stress et la fatigue liés aux retards, à l’affluence ou aux embouteillages.
… ou pour le pire ?
On ne dira jamais assez qu’une innovation n’est ni bonne ni mauvaise : c’est l’usage qui en fait détermine si son impact est positif ou négatif. La digitalisation n’échappe pas à cette règle, et présente ce que l’on peut appeler « les défauts de ses qualités » :
Un risque de surcommunication
Le digital a créé une culture de l’instantanéité. Cette recherche permanente de réactivité peut engendrer un mal-être chez certains salariés qui se sentent submergés par l’abondance d’informations et de notifications. Les professionnels RH ont un grand rôle à jouer sur ce plan en simplifiant l’accès à l’information pertinente.
Une autonomisation parfois mal vécue
En permettant le développement de nouvelles formes de travail, la numérisation a rendu plus abstrait l’exercice de celui-ci. Certains collaborateurs sont déstabilisés par le management à distance et l’attente accrue d’autonomisation… et de nombreux managers s’interrogent parallèlement sur l’évolution de leur rôle.
Une désécurisation professionnelle
Selon le baromètre International Cegos 2019 «Transformation, compétences et learning », 51% des salariés pensent que la transformation digitale pourrait faire disparaître leur métier. Clairement, l’intégration de nouvelles fonctions digitales dans l’entreprise redéfinit les missions des salariés dans leur travail quotidien. Il est nécessaire de les préparer à ces transitions pour éviter une baisse d’engagement et d’efficacité.
Un risque d’exclusion
À l’heure où l’inclusion est perçue par la société comme un sujet majeur, l’entreprise doit prendre garde à ne pas exclure. Certains salariés se sentent mal à l’aise avec les nouvelles technologies, et ce phénomène n’est pas que générationnel. Selon le baromètre Cegos déjà cité, un salarié sur trois se sent « dépassé par la technologie ».
Une diminution des interactions humaines spontanées
La digitalisation des échanges diminue les rencontres en présentiel, même pour les collaborateurs se trouvant en même temps dans les mêmes locaux : on échange souvent uniquement, désormais, avec les collaborateurs exerçant la même activité ou travaillant sur un projet commun. On manque ainsi des rencontres informelles, mais enrichissantes humainement et professionnellement : c’est parfois de façon impromptue autour d’un café que naissent certaines idées ou solutions à un problème.
Quant à l’expérience RH proprement dite, le recours systématique au digital peut susciter, chez le salarié, le sentiment qu’il n’est plus possible d’aller voir les services RH ou son manager.
La qualité de vie au travail comme boussole
D’autres risques de la digitalisation comme l’hyperconnexion et ses corollaires (risques psychosociaux, burn-out) sont l’objet de nombreux débats et articles. Sans entrer à nouveau dans ces sujets souvent abordés, il convient pour la fonction RH de s’interroger sur les impacts, en termes de qualité de vie au travail (QVT), des innovations digitales prévues.
Qu’il s’agisse de dématérialisation des échanges, des process, ou encore des modalités du télétravail, le digital ne peut être un objectif en soi. L’adhésion des collaborateurs à une innovation organisationnelle et/ou RH ne peut s’obtenir si cette innovation n’est pas aussi porteuse, pour eux, d’un mieux-être professionnel.
L’expérience RH des collaborateurs est le préalable indispensable d’une qualité de vie au travail satisfaisante. Il est primordial, pour l’améliorer, d’envisager les impacts des innovations digitales sur le quotidien des salariés, de prendre en compte leurs remarques et aspirations en s’appuyant sur les managers et ainsi de préparer et d’accompagner au mieux les transformations. Une entreprise à la fois plus digitale et plus humaine n’est pas une vue de l’esprit : c’est un enjeu central des DRH pour les années à venir.